Un aperçu historique : Comment la langue française est-elle perçue en Allemagne?

Zeltlager DFJW
© DFJW / OFAJ Le premier camp de jeunesse DFJW en 1964

Au 18e siècle, l’allemand n’est pas une langue unifiée. Il existe de nombreux dialectes, véritables langues régionales, et les habitants du Saint-Empire ne parlaient pas tous l’allemand standard (« Hochdeutsch », le haut-allemand) compris de tous, ce qui rend difficile la communication entre les régions. C'est pour cette raison que les nobles, lors de leurs voyages en France, s’intéressent à cette langue et commencent à l'apprendre.

Un peu plus tard, le mouvement romantique rassemble de part et d’autre du Rhin des passionnés de la langue qui traduisent et analysent les textes. Ce n’est cependant que bien plus tard que s’impose l’enseignement du français.

Dans un contexte de guerre, les stéréotypes et les préjugés prennent le dessus grâce à la propagande. En particulier pendant la période nazi, les Allemands ne voulait surtout pas se mélanger à l’« ennemi héréditaire » français, et le régime est alors obsédé la pureté de la langue allemande.

Les choses changent véritablement avec la Reconstruction, et les traités qui ont été signés ont jeté les bases d'une amitié commune qui a conduit à une coopération économique, puis politique. Mais les cours de français pour les jeunes allemands n'étaient pas la priorité. À l'Ouest, en RFA, l'accent est mis sur la maîtrise de l'anglais, tandis qu'en RDA, l’apprentissage du russe est prédominant. Cependant, le français a tout de même rapidement gagné du terrain, grâce au succès des partenariats de jeunesse négociés par l'Office franco-allemand pour la jeunesse.

Le français comme première langue étrangère à l'école primaire ? L'exemple de Stella, à Berlin.

Nous avons interviewé une camarade de classe qui nous a donné quelques informations sur ses cours de français. Elle explique que peu de gens peuvent choisir d’apprendre le français si jeune et pourquoi elle aime tant cette langue.

"En CE2, les élèves berlinois commencent à apprendre une langue étrangère, généralement l'anglais. Mon école proposait aussi le français. Mes parents m'ont laissé choisir et c’est ce que j’ai choisi. Notre cours regroupait tous les CE2 de l’école qui avaient choisi le français, nous n’étions que dix. J’ai donc commencé à apprendre le français à l'âge de sept ans. Puis je suis entrée au collège. Malheureusement, très peu d’établissements propose le français en première langue, ce qui a compliqué mon orientation.

En 4e, il y a eu un échange avec une classe de Bordeaux. Je suis très reconnaissante pour les expériences que j'y ai vécues.

J'aime beaucoup le français, j'adore écouter les gens qui le parlent ! Je me bats en permanence pour ne pas perdre mon niveau et m’améliorer, mais la seule chose qui m'aide est de continuer à parler, continuer à parler, continuer à parler ! C'est aussi la seule chose qui m’embête véritablement : le fait que je ne maîtrise pas (encore) parfaitement la langue."

Pourquoi les élèves veulent-ils apprendre le français?

Nous avons vu l'exemple de Stella qui explique pourquoi elle a choisi le français comme langue étrangère. Pourquoi les élèves décident-ils d'apprendre le français à l'école? En dehors des raisons culturelles, y a-t-il d'autres raisons pour lesquelles les élèves apprennent le français ou pour lesquelles les parents pensent qu'il est bon pour leurs enfants d'apprendre le français?  Nous avons réalisé une petite enquête dans le cadre de notre programme d'études franco-allemand et avons demandé les raisons pour lesquelles nos camarades allemands ont appris le français.

Les élèves du lycée Gabrieli-Gymnasium d'Eichstätt ont également répondu à ces questions. Ils ont décidé d'apprendre le français car «cette langue est très parlée dans le monde».  Pour d'autres, simplement «parce que c’est une belle langue».

Cependant, l'apprentissage d'une langue aussi compliquée que le français demande de la patience et souvent un certain but comme la perspective de pouvoir voyager et d'être compris. Les voyages élargissent l'horizon, éveillent l'intérêt pour d'autres cultures et motivent l'apprentissage d'une langue étrangère. C'est exactement la raison invoquée par les élèves du lycée Gabrieli : «J'aime le pays, je veux en parler la langue» ou «Je vais souvent en France en vacances et je veux pouvoir communiquer».

Comme on peut également le voir dans le graphique, de nombreux Allemands s'intéressent également au français pour des raisons professionnelles. En particulier les étudiants trouvent le français important pour travailler dans un contexte européen et pour leur vie professionnelle en général. En effet, on constate que les cursus franco-allemands sont des profils très appréciés dans le monde du travail, car la coopération franco-allemande est de plus en plus forte. Choisir le français, c'est donc aussi un investissement pour l'avenir. Les élèves du Gymnase voient également ces collaborations comme un avantage: «Politiquement et économiquement, il existe des liens forts entre la France et l'Allemagne».

Y a-t-il un profil spécifique d’élèves qui apprennent le français?

En France, statistiquement parlant, ce sont plutôt les bons élèves qui choisissent l'allemand car, contrairement à l'espagnol (langue choisie par 70% comme deuxième langue à l'école), l'allemand est considéré comme « compliqué » et malheureusement comme « laide ». L'apprentissage de l'allemand dépend souvent du profil des élèves. 

En Allemagne, c'est très différent. Tous peuvent choisir le français et même parfois dès l'école primaire (comme Stella), et pas seulement dans les écoles proches de la frontière française. En fait, dans de nombreuses écoles, l'anglais n'est pas si dominant. Il n'est donc pas étonnant de découvrir que les Allemands sont souvent bien meilleurs en français que l'inverse. Cela s'explique également par la manière dont ils apprennent. Il faut donc constater que, une fois n’est pas coutume, les stéréotypes correspondent à la réalité. En Allemagne, l'apprentissage des langues étrangères est fondamental et fait donc l’objet d’un plus gros investissement. Les allemands font deux fois plus de progrès que les Français, simplement en raison de la culture scolaire allemande : beaucoup d'exercices oraux, de vocabulaire et surtout d’investissement personnel, ce qui n'est pas forcément le cas en France.

Les Allemands apprennent donc les langues plus rapidement et mieux en raison de leur mode de travail, du système scolaire et car ils y sont plus appliqués.

Le plaisir de parler français

Les Allemands qui vont en France chercher à parler français aussi souvent que possible. Pour les Français, parler allemand est avant tout un outil pour voyager, découvrir un nouveau pays et de rencontrer de nouvelles personnes. Mais souvent, en Allemagne, ils parlent plutôt anglais, qu’il ne maîtrise le plus souvent pas très bien non plus. De ce fait, lorsque les Allemands viennent en France, ils n'ont pas d'autre choix que de parler français pour se faire comprendre. Cela leur permet de faire beaucoup de progrès.

À une meilleure connaissance de la langue s'ajoute un grand attrait pour la culture française. Si les Français sont souvent plus réservés, les Allemands n'hésitent pas à franchir la frontière pour passer leurs vacances. A force, certains allemands connaissent la France mieux que les français eux-mêmes.

Mais malheureusement…

Le choix de l’apprentissage du français dans les écoles a diminué ces dernières années. En 2012, seuls 26 % des élèves allemands choisissent d’apprendre le français, contre 30 % en 2000. La langue a perdu de son attrait. Même s'il y a de bons professeurs de français, on entend souvent des reproches quant à au temps passé à apprendre la grammaire. Pour l'espagnol et l'anglais au contraire, la place de l’oral rend l’apprentissage de la langue plus attrayant.

Qu'est-ce qui est si difficile dans la langue française? Stella pense aussi que le français n'est pas si facile ! Il existe des nuances linguistiques et des prononciations qui sont uniques. Les lettres muettes et les faux amis sont également des difficultés que connaissent tous ceux qui apprennent le français.

Que faut-il faire ?

Nous, étudiants, enseignants et décideurs politiques, devons élargir les partenariats pour encourager les élèves à apprendre le français. Il existe d’ailleurs de nombreux programmes qui permettent un rapide apprentissage du français, comme AbiBac ou les programmes d'échange scolaire. Ils reposent sur ce qui est le plus important pour apprendre une langue : la pratique. C'est pourquoi passer du temps en France et y parler français est si important. Comme l'a dit Nelson Mandela: "Lorsque vous parlez à un homme dans une langue qu'il comprend, vous parlez à sa tête. Quand vous lui parlez dans sa langue, vous parlez à son cœur".

Casser les oeufs

Enfin, nous avons demandé aux élèves ce qu'ils préféraient dans cette langue. La chose qu'ils ont le plus mentionnée dans l'enquête est sa beauté.

Ils ont également répondu que cette langue comporte de nombreux mots et tournures «drôles» tels que «On ne peut pas faire d’omelette sans casser des œufs». Leur professeur de français, Mme Knabl, nous a quant à elle expliqué qu'elle aime enseigner le français. Nous sommes très heureux de l'entendre.

Un grand merci à Stella Freund, Mme Knabl et vos élèves du Lycée Gabrieli d'Eichstätt ainsi qu'à tous les élèves du cours franco-allemand qui ont participé à l'enquête!

Constance Tremenbert et Maylis Christien (2e année Sciences Po Rennes)